Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                   LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE

 

 

LA VIE DE DAVID MARTIN
 

DAVID Martin naquit le 7 Septembre 1639, à Revel, ville du Diocèse de Lavaur dans le haut Languedoc, de Paul Martin, qui y fut deux fois pourvu du Consulat, et de Catherine Cordes.

Il commença ses études dans cette ville, et alla en 1655 faire sa Rhétorique à Montauban, où était l’Académie des Réformés, et où il demeura deux ans. De là il alla au mois d’Octobre 1657 faire son cours de Philosophie dans l’Académie de Nismes, sous David Derodon, célèbre Professeur, qui reconnut dans Martin des talents et des qualités aussi estimables que difficiles à rencontrer dans un même sujet. Ce qui forma entre le Maître et le disciple un attachement si intime, qu’il ne finit qu’avec leur vie. Martin soutint des Thèses in Universam Philosophiam, à mane ad vesparam fine Praefide avec un applaudissement général, et fut reçu Maître ès Arts et Docteur en Philosophie le 21 Juillet de l’an 1659.

Il se consacra ensuite à la Théologie, et se rendit pour cet effet à Pui-Laurent, où l’Académie de Montauban avait été transportée. Verdier et André Martel, tous deux hommes de mérite, y étaient alors Professeurs. Martin, qui assistait assidûment à leurs leçons, profita beaucoup de leurs lumières; mais son esprit vif et pénétrant ne lui permit pas de se contenter de la lenteur des études Académiques: il y en joignit des particulières, et en peu de temps il fit de grands progrès.

De retour chez lui, son Cabinet devint son lieu de délices. Là non seulement il se donnait à la lecture de l’Écriture, des Commentateurs, et des Pères; il s’y appliquait aussi aux Langues Orientales, à l’Histoire Ecclésiastique, et à la Littérature tant sacrée que profane. Peut-être faut-il attribuer à la grande application, qu’il donnait à toutes ces choses, une longue et dangereuse maladie qu’il eut alors.

Comme il en relevait, et dans le temps qu’il y pensait le moins, arriva sa réception au Ministère. Quoique ses forces fussent encore peu rétablies; la curiosité de voir le Synode qui se tenait à Mazamet au mois de Décembre 1663 et le plaisir d’accompagner un de ses amis, qui allait s’y faire recevoir Ministre, l’attirèrent dans cette ville. Dès qu’il y fut arrivé, plusieurs Membres du Synode, et le Synode même le pressèrent avec tant d’instance d’accepter la vocation de l’Église d’Espérance dans le Diocèse de Castres, qu’il ne put s’en défendre.

Quelque avantageuse que fût l’idée qu’on s’était faite de son mérite et de ses talents dans l’examen qu’il eut à subir, il surpassa l’attente du Synode. Sept Proposants furent en même temps admis au Ministère; mais Martin reçut des éloges et des marques de distinction d’autant plus honorables pour lui, qu’on les lui donna, sans diminuer le mérite des autres.

Martin eut d’abord occasion de manifester sa prudence, et sa capacité pour les affaires les plus difficiles et les plus délicates. Il trouva dans son Église des divisions, que son Prédécesseur, quoique homme d’âge et d’expérience, n’avait pu calmer, et il trouva moyen d’y ramener la paix. Son Consistoire n’était pas moins dans l’agitation et dans le trouble, par l’envie que certains esprits vifs et impérieux avaient de dominer. Martin en sentit toutes les conséquences, parvint encore bientôt à corriger ce dangereux abus, et y rétablit l’union et la concorde. Ces deux affaires lui acquirent une confiance et un respect, qu’il se conserva toujours.

Au mois de Juin 1666 il épousa Florence de Malecare, fille de Pierre de Malecare; Gentilhomme, et Avocat en la Chambre mi-partie de Castres en Albigeois: Demoiselle également distinguée par sa beauté, par sa vertu, et par son mérite.

En 1670 l’Église de la Caune dans le Diocèse de Castres demanda Martin pour son Pasteur. Il en accepta la vocation, et ne la quitta que par la suppression, qui en fut faite à la révocation de l’Édit de Nantes le 22 Octobre 1685. Cette église nombreuse de 8 ou 900 Communiants, et où il était seul Ministre, lui donnait de pénibles et continuelles occupations. Comme il était intelligent dans les affaires Civiles, et habile en expédients, outre les fonctions de son ministère qu’il remplissait exactement, il était souvent occupé à mettre d’accord des personnes en dispute sur des intérêts, qui semblaient difficiles à concilier, et leur épargnait ainsi de longs et ruineux procès. Les Catholiques même le recherchaient pour arbitre dans leurs différents.

En 1681 Théophile Arbussy, Professeur en Théologie dans l’Académie de Pui-Laurent, étant mort, et au mois de Septembre de cette même année le Synode de la Province tenant à Mauvoison, on sollicita fortement Martin d’accepter sa place; mais l’attachement qu’il avait pour son Église, l’emporta sur tout ce qu’on pu lui alléguer de plus pressant; il refusa cette vocation, comme il avait refusé un peu auparavant celle de l’Église de Milhau dans le Rouergue, quelque considérable qu’elle fût.

Il n’était pas seulement respecté dans quelques Églises particulières; il se faisait aussi fort écouter au Synode, et y était très considéré. Les temps devenant chaque jour plus fâcheux pour les Protestants, les affaires se multipliaient et étaient de plus en plus épineuses. C’est principalement dans ces circonstances délicates qu’on marqua à Martin jusqu’où allait la confiance que l’on avait en son mérite; ce qu’il y avait de plus secret et de plus difficile lui était remis, et toujours il fit voir que sans manquer de fermeté, son zèle était dirigé par la prudence.

Sa constance ne fut point ébranlée non plus dans les causes qui lui étaient personnelles. Des gens qui avaient résolu de le perdre, et qui s’appliquaient à le traverser en tout, intentèrent enfin une action contre lui. On lui donna un Ajournement personnel pour répondre devant l’Évêque de Castres à l’accusation d’avoir contrevenu aux ordres du Roi. Ses amis les plus considérables de l’une et l’autre Communion en furent effrayés, et voulaient qu’il prît la fuite. Plus hardi qu’eux, il comparut devant le Prélat, réfuta ses accusateurs avec tant d’esprit et de vivacité, et défendit sa cause avec tant de dignité et de force, que l’Évêque en fut touché, et ne le condamna pas.

Ayant voulu ensuite continuer les fonctions de son Ministère, après même que son Temple eut été démoli en 1685 il se vit en danger d’être arrêté. Mais des Catholiques de ses amis l’en avertirent assez à propos pour lui donner le temps de se sauver. Ces mêmes personnes reçurent dans leurs maisons sa femme et ses enfants, et les mirent à l’abri de tout danger.

Il passa en Hollande, et arriva à la Haye au mois de Novembre de la même année 1685. Après un court séjour en ce lieu, il se rendit à Utrecht, où, de même que plusieurs autre Ministres Réfugiés, il fut mis à la pension, en attendant qu’il fût appelé au service ordinaire de quelque Église. Cela ne tarda pas à arriver. Le 16 Février 1686 les Magistrats de Deventer lui adressèrent la Vocation de Professeur en Théologie, et de Pasteur de l’Église Wallonne de cette ville. Mais Messieurs de la Régence d’Utrecht s’opposèrent à ce qu’il leur fût enlevé, et le retinrent pour Pasteur chez eux. Plusieurs de ses amis, et surtout le célèbre Graevius, avec lequel il était déjà en étroite liaison, lui conseillèrent de n’accepter cette dernière vocation qu’avec une chaire de Professeur, ou du moins avec le titre, jusques à ce qu’il y eût une place vacante. Mais Martin pensa différemment; il se crut suffisamment honoré par l’estime et par la bienveillance qu’on lui témoignait, et n’exigea aucunes conditions.

Il justifia encore depuis la sincérité de sa modestie, par le refus qu’il fit de plusieurs Églises, tant de la République, que d’autres pays, et en particulier de celle de la Haye, qui en 1695 perdit M. Isaac Claude, fils de Jean Claude Ministre à Charenton, son ami et son allié. Mais s’il refusa de succéder à M. Claude, il ne fallut pas le presser pour l’engager à tenir lieu de père aux enfants que ce Pasteur laissait orphelins. Il fut leur Tuteur, et par la tendresse et l’attention qu’il eut pour eux, il leur fit toujours connaître qu’il les regardait comme ses propres enfants.

Quoique Martin eût deux fois résisté à l’ambition d’être Professeur, ce ne fut point pour s’en épargner les fonctions. Il donnait chez lui des leçons de Philosophie ou de Théologie à des jeunes gens, entre lesquels il y en avait de différents pays, que sa réputation avait attirés à Utrecht. Souvent de jeunes Seigneurs, des fils même de Souverains, lui ont fait l’honneur de lui demander quelques heures particulières d’entretien, qui leur devenaient également utiles et agréables. Comme il joignait à beaucoup d’ordre, beaucoup de netteté dans ses idées, il répandait sur les matières les plus abstraites une si grande clarté, qu’elles paraissaient faciles à comprendre.

Le temps qu’il mettait à instruire les personnes qui se destinaient à desservir les Églises, était celui qu’il regardait comme le mieux employé. Il ne se bornait pas à en faire des Théologiens et des Prédicateurs, il s’attachait aussi beaucoup à leur inspirer des sentiments de probité, d’humilité, et de douceur.

Tant d’occupations, celle de Pasteur ordinaire, et le travail assidu de son Cabinet, demandaient quelque délassement. Il en prenait en deux manières. Premièrement en remplissant une des fonctions capitales de son ministère, qui était d’aller voir fréquemment tous les membres de son Troupeau, grands et petits, sans distinction.

Le commerce de Lettres qu’il avait avec des personnes de distinction, avec des savants, et avec ses amis, lui tenait lieu de second délassement d’esprit. On a trouvé parmi ses papiers des Lettres de savants de tout ordre, et de tout pays, qui sont pleines d’érudition.

En qualité de Prédicateur et d’Auteur il ne croyait pas qu’il lui fût permis de ne pas bien savoir la langue et il s’attacha fort au Français. Il en possédait tellement les règles et la délicatesse, qu’il fut en état de fournir des remarques et des observations à l’Académie Française. Il les lui envoya, lorsqu’elle voulut faire imprimer la seconde édition de son Dictionnaire. La lettre de remerciement que l’Académie lui écrivit, marque le cas qu’elle faisait de ses critiques, et la pureté avec laquelle ses ouvrages sont écrit, fait connaître son habileté en ce genre.

Il parlait avec autant de facilité et aussi bien qu’il écrivait. On ne s’en étonnera point, si l’on fait attention qu’il avait l’esprit vif, pénétrant, et très présent, la mémoire heureuse, le jugement excellent. Il cherchait toujours à s’instruire; continuellement il faisait des questions, sans avoir la fausse honte de donner à connaître qu’il ignorait quelques chose; tout excitait sa curiosité, Arts, sciences, affaires; cependant rien ne se confondait dans son esprit, il ne mettait chaque chose qu’en sa place.

Avec lui la conversation ne tarissait jamais, il y portait la franchise et la gaieté de son pays; il était plein de feu, et il avait la répartie prompte. Dans le sérieux il avait toujours quelque pensée vive qui réveillait l’imagination, et faisait recevoir agréablement ce qu’il y avait de plus grave. Dans les occasions enjouées, il mêlait à propose des réflexions morales, qui empêchaient qu’on ne passât les bornes de la sagesse et de la bienséance.

À le considérer du côté du cœur, on le lui trouvait affectueux, tendre, compatissant. Beaucoup de personnes ont ressenti des effets de ses bons offices; tous n’y ont pas bien répondu: mais il ne le leur reprochait point, et sans ressentiment il leur rendait de nouveaux services aussitôt qu’il en trouvait l’occasion; il ne fallait pas même l’en prier, il les prévenait. Il était si attaché à ses amis, qu’on l’a vu trente ou quarante ans après leur mort s’intéresser vivement au sort de ceux qui leur avaient appartenu.

C’est par l’admiration de la sagesse de la Providence divine qu’il a achevé sa carrière: Cette matière jointe à celle de la création furent le sujet de son dernier Sermon. À 82 ans accomplis Martin les traita avec une vigueur d’esprit et de corps, une force de raisonnement et une élévation d’idées, qui frappèrent d’étonnement tout son Auditoire; mais à peine eut-il cessé de parler, qu’il se sentit épuisé. Il fallut l’aider à descendre de chaire, pour le transporter chez lui. Il fut attaqué d’une violente fièvre, et deux jours après, c’est-à-dire le 9 Septembre de l’an 1721 il mourut à huit heures du soir. Il est à remarquer qu’il avait toujours souhaité de mourir en prêchant.

 

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